Episode 1 â Lâart de ne pas planter droit
Ce matin-lĂ , Xavier tenait son plant de tomate comme on tiendrait un violon : avec soin, mais sans trop savoir quoi en faire.
â Il faut que ce soit parfaitement droit, non ?
â Pas forcĂ©ment, je lui rĂ©ponds. Les tomates, comme les gens, ont besoin de soutien, pas de rigiditĂ©.
Il a rigolĂ©. Il rigole souvent, Xavier. Câest ce que jâaime chez lui. Moi, je suis plus silencieux. Lui, câest le printemps qui parle.
Nous avons passĂ© la matinĂ©e Ă planter. Pas pour âproduireâ â pour ĂȘtre lĂ . Les mains dans la terre, les pieds humides, les cĆurs tranquilles.
Parfois on parlait, parfois on ne disait rien. Et câĂ©tait bien.
Il a plantĂ© une ligne de courgettes qui ondulait comme une riviĂšre. Il a dit âje ne sais pas faire droitâ.
Je lui ai dit : âEt si câĂ©tait une qualitĂ© ?â
đ± Ce que jâai appris ce jour-lĂ :
- On peut apprendre Ă jardiner sans devenir agriculteur.
- Rater un semis, câest souvent mieux que de ne rien tenter.
- Un jardin nâest pas un projet. Câest un compagnon.
Et puis, surtout : jardiner Ă deux, câest encore mieux que jardiner seul.
MĂȘme si on ne plante pas droit.
Ăpisode 2 â La fois oĂč on a semĂ© sous la pluie
Il pleuvait doucement, une pluie fine, presque timide.
Xavier avait mis sa vieille veste de randonnĂ©e, celle avec un accroc sur la manche. Moi, jâavais sorti mon chapeau de paille, par habitude â mĂȘme si le soleil, lui, avait pris congĂ©.
â On ne va pas attendre que ça sĂšche ?
â Et pourquoi ? Les graines nâont pas peur de lâeau, seulement du vide.
Il mâa regardĂ© comme on regarde un vieux maĂźtre zen un peu fou.
Puis il a attrapĂ© le sachet de haricots et sâest mis Ă creuser.
Il y a quelque chose dâapaisant dans le fait de semer quand tout le monde est Ă lâabri.
Comme une résistance discrÚte.
Une maniĂšre de dire au ciel : âTu peux pleurer, nous on sĂšme.â
On nâa pas beaucoup parlĂ©.
Le bruit de la pluie suffisait.
Ă un moment, Xavier a juste dit :
â On dirait que ça lave quelque chose.
Jâai hochĂ© la tĂȘte. Moi aussi, je sentais ça.
đ± Ce que jâai retenu ce jour-lĂ :
- Il nây a pas de âbon momentâ pour faire ce qui compte.
- La pluie ne gĂȘne pas les graines, elle les rĂ©veille.
- Jardiner sous la pluie, câest comme pleurer avec la terre : ça soulage.
On est rentrés trempés mais sereins.
Le lendemain, les oiseaux chantaient plus fort que dâhabitude.
Peut-ĂȘtre quâeux aussi avaient semĂ© quelque chose.
Ăpisode 3 â Le compost et les erreurs
Ce matin-lĂ , Xavier est arrivĂ© avec une caisse pleine dâĂ©pluchures, de marc de cafĂ©, et dâun reste de riz quâil pensait « encore bon pour les oiseaux ».
â Je le mets oĂč, ça ?
â Dans le compost, Ă©videmment. Tout ce qui se dĂ©compose nourrit.
Il a grimacé.
â MĂȘme mes erreurs ?
Je lâai regardĂ©, surpris. Puis jâai souri.
â Surtout tes erreurs.
On a passĂ© la matinĂ©e Ă remuer le compost. Câest une drĂŽle dâactivitĂ©.
On plonge la fourche dans ce qui pue un peu, ce qui colle aux doigts, ce qui nâa plus fiĂšre allure â et on en sort de la terre noire, riche, vivante.
Tout ce quâon avait rejetĂ© redevient fĂ©cond.
Je crois que ça a touchĂ© quelque chose chez lui. Chez moi aussi, dâailleurs.
Xavier mâa dit :
â Si la vie faisait du compost avec mes dĂ©cisions foireuses, je pourrais nourrir un champ entier.
Je lui ai répondu :
â Elle le fait dĂ©jĂ . Tâes juste pas encore prĂȘt Ă rĂ©colter.
đ± Ce que jâai appris ce jour-lĂ :
- Rien ne se perd, mĂȘme les ratĂ©s.
- La terre pardonne plus vite que nous.
- Le compost, câest une leçon dâhumilitĂ© permanente.
- Et Xavier, sous ses blagues, cache un vrai besoin de renaĂźtre.
On a recouvert le tas.
Le soleil sâest glissĂ© entre deux nuages, comme un clin dâĆil discret.
Et en regardant nos mains sales, jâai pensĂ© :
âCâest dans ce dĂ©sordre-lĂ que commence le vrai.â
Ăpisode 4 â Lâaffaire du poireau disparu
Tout avait bien commencé.
Une matinĂ©e claire, un peu de rosĂ©e sur les bottes, et nos plans bien en tĂȘte : repiquer les poireaux, arroser les salades, ne pas se disperser.
Cinq minutes plus tard, Xavier avait déjà disparu derriÚre le figuier.
â Tâas vu mes lunettes ?
â Non, mais jâai vu un merle qui tâobservait avec beaucoup de scepticisme.
Il a ri. Et puis il est revenu, le regard inquiet.
â Guido, je crois quâon a perdu un poireau.
On sâest mis Ă chercher.
Un poireau.
Disparu.
ĂvaporĂ©.
Comme si la terre lâavait avalĂ© ou quâun lapin lâavait Ă©lu roi et emmenĂ© au loin.
Xavier, trÚs sérieux, a commencé à élaborer des théories :
âEt si les poireaux avaient une conscience collective et quâils testaient notre sens de lâobservation ?â
Je lui ai proposĂ© dâĂ©crire un roman.
Il mâa proposĂ© dâaller boire un cafĂ©.
On lâa retrouvĂ© une heure plus tard, couchĂ© derriĂšre le composteur, tordu mais vaillant.
Je lâai remis en terre avec une tendresse disproportionnĂ©e.
â Tu crois quâil va survivre ?
â Peut-ĂȘtre. Mais mĂȘme sâil ne pousse pas, il aura eu son aventure.
đ± Ce que jâai appris ce jour-lĂ :
- MĂȘme les choses simples aiment se faire dĂ©sirer.
- Chercher un poireau avec un ami, câest plus prĂ©cieux quâen trouver dix tout seul.
- Lâoubli nâest pas une faute. Câest parfois juste une pause imprĂ©vue.
On a terminé la journée avec un seul poireau en moins,
mais deux fous rires de plus,
et cette certitude étrange que parfois, la vie nous fait perdre des choses pour nous faire retrouver du lien.
Ăpisode 5 â Le jour oĂč on nâa rien fait
Ce matin-là , on avait prévu plein de choses.
Tailler les framboisiers. Butter les pommes de terre. Pailler les courges.
Mais en arrivant, le jardin baignait dans une lumiĂšre tellement douce quâon sâest simplement⊠assis.
â On commence par quoi ? a demandĂ© Xavier.
â Par rien, jâai rĂ©pondu.
Et on a fait ça.
Rien.
Rien du tout.
On sâest installĂ©s sur les vieilles chaises pliantes, entre lâombre du prunier et les bourdonnements discrets des abeilles.
Le vent passait doucement, la terre sentait lâĂ©tĂ© qui vient, et le temps, pour une fois, ne pressait personne.
On a parlĂ© un peu â de nos mĂšres, des silences, de ce quâon ne comprend toujours pas aprĂšs 60 ans de vie.
Mais surtout, on sâest tus.
Un silence habité.
Pas vide. Plein.
Xavier a regardĂ© les fĂšves qui balançaient doucement la tĂȘte et mâa dit :
â Elles nâont pas lâair de culpabiliser, elles.
Je lui ai répondu :
â Parce quâelles savent faire confiance au temps.
đ± Ce que jâai compris ce jour-lĂ :
- Ne rien faire, câest parfois faire de la place Ă tout le reste.
- Le jardin pousse aussi sans nous.
- LâamitiĂ©, câest savoir se taire ensemble sans que rien ne manque.
- Le repos est une forme dâĂ©coute.
On est repartis sans avoir touché un outil.
Et pourtant, en rentrant, jâavais lâimpression dâavoir fait le plein.
Peut-ĂȘtre quâon devrait noter ça dans notre cahier de jardinage :
Jour de pause. Croissance intérieure.
Ăpisode 6 â Lâinvasion des capucines
Tout a commencé par une seule capucine.
PlantĂ©e au pied dâune vieille planche de courgettes, « pour faire joli », avait dit Xavier.
Trois semaines plus tard, le jardin en était envahi.
Des tiges partout. Des feuilles rondes comme des assiettes de lutin. Des fleurs orange qui riaient au soleil.
Elles grimpaient, rampaient, sâaccrochaient aux tomates, aux piquets, Ă nous presque.
â Tu crois quâon a trop bien nourri la terre ?
â Je crois quâon a sous-estimĂ© lâenthousiasme vĂ©gĂ©tal, jâai rĂ©pondu.
On a essayĂ© dâen contenir un peu. Juste un peu. Mais elles revenaient toujours.
Pas envahissantes avec colĂšre, non. Envahissantes avec joie.
Comme une fĂȘte qui ne veut pas finir.
â Câest drĂŽle, a dit Xavier.
â Quoi donc ?
â On passe notre temps Ă vouloir que ça pousse. Et le jour oĂč ça pousse trop, on rĂąle.
Il avait raison. Comme souvent.
On a fini par laisser faire.
On a regardé les capucines transformer le jardin en carnaval improvisé.
Puis Xavier a cueilli une fleur, lâa croquĂ©e, et a dit :
â Tiens. MĂȘme lâexcĂšs peut ĂȘtre piquant et dĂ©licieux.
đ± Ce que jâai appris ce jour-lĂ :
- Parfois, la nature en fait trop. Comme nous. Et ce nâest pas grave.
- Lâabondance nâest pas un problĂšme, câest un rappel : savourer avant de contrĂŽler.
- Une fleur peut enseigner plus quâun livre.
- Et les capucines sont les clowns tendres du potager.
Le soir, jâai Ă©crit dans mon carnet :
Capucines : 37. Nous : 0. Mais quel beau match.
Ăpisode 7 â Le jour oĂč on a parlĂ© aux plantes (et elles ont peut-ĂȘtre rĂ©pondu)
Il faisait chaud ce jour-lĂ , une chaleur lente, enveloppante.
Les haricots levaient doucement la tĂȘte, les tomates se gorgeaient de lumiĂšre.
Le genre de jour oĂč mĂȘme les outils prĂ©fĂšrent rester posĂ©s.
Xavier arrosait doucement, en murmurant je ne sais quoi Ă ses aubergines.
â Tu leur parles ?
â Ăvidemment. Tâas jamais remarquĂ© quâelles te regardent ?
Jâai souri. CâĂ©tait dit sans ironie. Juste⊠comme une Ă©vidence.
Alors jâai essayĂ©.
Je me suis penchĂ© vers une touffe de basilic, et jâai dit, Ă mi-voix :
â Merci dâĂȘtre lĂ . MĂȘme si je tâoublie parfois.
Le vent sâest levĂ© un peu.
Une feuille a frÎlé ma main.
Est-ce quâil a rĂ©pondu ?
Qui sait.
Xavier, toujours concentrĂ©, mâa dit :
â On croit quâon cultive un jardin. Mais câest peut-ĂȘtre lui qui nous cultive.
Et lĂ , jâai senti un drĂŽle de truc.
Un calme. Une sorte de lien muet.
Comme si, Ă force dây mettre nos mains, le jardin avait appris notre langue.
đ± Ce que jâai appris ce jour-lĂ :
- Parler aux plantes, ce nâest pas ĂȘtre fou. Câest ĂȘtre prĂ©sent.
- Le silence entre deux ĂȘtres vivants nâest jamais vide.
- Plus on écoute, plus le vivant répond.
- Le respect commence dans les gestes simples : arroser, toucher, remercier.
On est repartis sans avoir fait grand-chose, mais le cĆur tranquille.
Et depuis, quand jâentre dans le jardin, je dis toujours bonjour.
Pas par habitude.
Par gratitude.
Ăpisode 8 â Les salades quâon nâa pas mangĂ©es
Ce matin-lĂ , on a fait le tour du potager comme on feuillette un vieux carnet :
avec tendresse, avec un peu de nostalgie.
Les salades, elles, nous regardaient en silence. Grandes. MontĂ©es en graine. Trop loin pour lâassiette.
â On les a ratĂ©es, a dit Xavier.
â Ou peut-ĂȘtre quâelles ont dĂ©cidĂ© de vivre leur vie sans nous, jâai rĂ©pondu.
Il a ri. Un peu jaune. Il nâaime pas âgĂącherâ.
On les avait oubliĂ©es deux semaines, occupĂ©s Ă dâautres cultures.
Le soleil, lui, ne les avait pas oubliées.
Elles avaient filé, dressé leurs tiges comme des étendards.
Leur cĆur nâĂ©tait plus tendre, mais leur silhouette Ă©tait fiĂšre. Sauvage.
Xavier les regardait, presque coupable.
â Jâai lâimpression de mâĂȘtre fait larguer par une laitue.
Jâai souri.
Et puis on sâest assis, devant elles. Juste lĂ .
Ă contempler ce festin devenu forĂȘt.
đ± Ce que jâai compris ce jour-lĂ :
- Tout ne pousse pas pour ĂȘtre mangĂ©.
- Parfois, ce quâon croit âratĂ©â devient beautĂ© inattendue.
- Les plantes aussi ont leur liberté.
- On ne cultive pas toujours pour récolter.
Avant de partir, Xavier a murmuré à une laitue montée :
âTâes belle, quand mĂȘme.â
Et jâai su quâon nâavait rien perdu.
On avait simplement appris Ă voir autrement.
Ăpisode 9 â Le jour oĂč il ne sâest rien passĂ© (et câĂ©tait trĂšs bien)
CâĂ©tait un jour sans vent.
Sans pluie.
Sans liste.
Le jardin était calme, comme suspendu.
Pas de rĂ©colte prĂ©vue, pas de travaux en attente. MĂȘme les oiseaux semblaient en congĂ©.
â On fait quoi ? a demandĂ© Xavier.
â Rien.
â Encore ?
â Oui. Mais aujourdâhui, on va le faire vraiment.
Alors on sâest assis, chacun de notre cĂŽtĂ©, comme deux vieux arbres fatiguĂ©s qui ont dĂ©cidĂ© de pousser en silence.
On a regardé.
Un escargot glissait lentement sur une feuille de chou.
Une abeille hésitait longuement entre deux fleurs identiques.
Le chat du voisin passait comme un fantĂŽme doux entre les haricots.
Personne ne parlait.
Et pourtant, tout communiquait.
Xavier a brisĂ© le silence dâun murmure :
â Tâas remarquĂ© que le jardin nâa pas besoin de nous aujourdâhui ?
â Il nâa jamais eu besoin de nous. Il nous accueille. Câest pas pareil.
Il a hochĂ© la tĂȘte, les yeux brillants.
đ± Ce que jâai appris ce jour-lĂ :
- Lâaction nâest pas toujours une nĂ©cessitĂ©.
- Le monde continue de vivre sans notre intervention.
- LâimmobilitĂ© peut ĂȘtre un geste, si elle est habitĂ©e.
- Le jardin nâest pas un lieu Ă remplir. Câest un lieu Ă ressentir.
Quand on est partis, le soleil baissait doucement.
On nâavait rien fait, rien changĂ©, rien produit.
Mais tout en nous avait bougé.
Ăpisode 10 â Lâenfant et la graine
CâĂ©tait un dimanche de mai.
Le jardin était encore tiÚde de la veille, un peu froissé comme un lit mal refait.
Et puis, sans prĂ©venir, Ălise est arrivĂ©e.
La petite-fille de Xavier. Six ans, deux nattes, et une curiosité immense dans les poches.
â Tu veux lui montrer le jardin ? jâai demandĂ©.
â Non, a-t-il rĂ©pondu.
Puis il a souri.
â Je veux quâelle me le montre.
Elle est entrĂ©e comme on entre dans une forĂȘt magique.
Chaque feuille devenait trésor, chaque pierre, une question.
Elle a couru vers les fraises, sâest arrĂȘtĂ©e devant les orties, a criĂ© en voyant un crapaud :
â Il sâappelle comment, lui ?
â On ne donne pas de nom Ă ceux qui passent, jâai rĂ©pondu.
â Moi, je lâappelle Monsieur Gluant.
Affaire réglée.
On lui a donné une graine de tournesol.
Elle lâa tenue longtemps dans sa main.
â Câest vivant, mĂȘme si ça ne bouge pas ?
â Oui, ai-je dit. Comme toi, quand tu rĂȘves.
Elle a creusé un petit trou. Délicatement.
A mis la graine. A recouvert. A tapoté.
Puis elle a dit :
â Maintenant, faut attendre que la magie dĂ©cide.
đ± Ce que jâai compris ce jour-lĂ :
- Les enfants nâapprennent pas le jardin. Ils le comprennent naturellement.
- Une graine peut devenir plus quâune plante : un lien.
- Voir un enfant semer, câest entrevoir le futur avec tendresse.
- Nous ne transmettons pas : nous passons le flambeau.
Quand elle est partie, elle a regardé le trou dans la terre et a dit :
âJe reviendrai quand il dira bonjour.â
On a souri.
Et dans le silence qui a suivi, jâai senti que quelque chose venait de germer.
Pas dans le sol.
En nous.
…
